CULT

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Équipement culturel & d’enseignement

Archétype bardé d’ardoise violine

2012, GOURNAY-EN-BRAY (76)
ESPACE CULTUREL, L’ATELIER
MEDIATHÈQUE, ÉCOLE DE DANSE & DE MUSIQUE
ARCHITECTE – AAVP
BE – CAMEBAT – BETOM – ABC DECIBEL
GRAPHISTE – B HEADROOM
MOA – VILLE DE GOURNAY-EN-BRAY
5,8 M€ HT – 2 545 M² SHON – 7 700 M² EXTÉRIEURS
ENTREPRISE – BOUTEL – LOURS
Structure béton et acier, ardoise violine, clin de bois, tôle et maille déployée en cuivre
PHOTO @LUC BOEGLY @PA HUE DE FONTENAY
PRIX EN 2014 – LAURÉAT DU GRAND PRIX D’ARCHITECTURE ET D’URBANISME DE NORMANDIE – LAURÉAT DES ARCHIDESIGN CLUB AWARDS – FINALISTE AUX EUROPEAN COPPER IN ARCHITECTURE AWARDS

LE PROJET

Variations sur le thème de la longère, Delphine Désvaux, Archistrom, 2013

Ornements, exploration des archétypes, recours au savoir-faire artisanal sont récurrents chez AAVP (Atelier d’Architecture Vincent Parreira). En choisissant une matérialité très présente, en réinterprétant sous tous ses angles la typologie de la longère et en faisant appel à des compagnons du Devoir, le centre culturel de Gournay-en-Bray (76) parvient à concilier le rare et le commun.

À 30 km de Beauvais et 60 km de Rouen, la commune de Gournay-en-Bray est un important bassin d’emplois et sa population (6 000 habitants) représente presque la moitié du canton.

En place depuis 1989, l’équipe municipale mène une ambitieuse politique d’équipements publics pour conforter le rôle structurant de Gournay : après avoir implanté un complexe sportif, elle vient de doter la ville d’un pôle culturel. Thierry Guillotin, maire adjoint à la culture, en rêvait et fait d’une pierre plusieurs coups : valorisation d’une friche industrielle, création d’une médiathèque et regroupement des écoles de musique, de danse et de peinture au sein d’une maison des associations culturelles.

Contextuel et contemporain

Respectant le tissu urbain de Gournay, l’équipement vient se loger au creux d’une profonde parcelle et se présente sous la forme d’un chromosome, deux longères – maison longiligne coiffée d’une toiture à deux pentes– reliées par une barre. À peine discernable depuis la rue, le centre culturel s’affiche néanmoins avec ostentation grâce au bâtiment « Signal » : une résille en cuivre prolonge le pignon de la maison mitoyenne, une signalétique quasi événementielle en néon rouge et un portail en cuivre – dont l’oxydation naturelle a essuyé des tentatives de nettoyage par les services municipaux ! Difficile, avec cette surabondance de signes, moins gratuite qu’elle n’en a l’air puisqu’elle veut rendre hommage aux enseignes commerciales disparues, difficile donc de rater l’entrée de l’Atelier.

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Certes, rien dans ce territoire normand, a fortiori près d’un ancien couvent surveillé de près par les Monuments historiques, ne laissait attendre une écriture contemporaine.

Mais grâce à une analyse identitaire détaillée, cette réalisation éminemment contextuelle ne dénote pas : respect du plan d’urbanisme traditionnel, variations multiples sur le thème de la longère, matérialité revisitée et conservation maximale de ce qui faisait le charme de la parcelle : les venelles, les héberges de caractère, les murs d’enceinte, le verger… Seules exceptions au développement longiligne, les salles de lecture sont logées dans deux boîtes saillantes en mélèze dont la forme en « canon de fusil » cadre le paysage. « Ce projet a fait la différence par sa capacité à redéfinir des relations avec l’environnement naturel ou bâti existant tout en explorant l’archétype de la longère avec des matières nobles » résume Vincent Parreira dont l’agence, en 2007, frôlait le dépôt de bilan avant de gagner coup sur coup trois concours lourds en rebondissements.

Architecture de noues

Il y a du Cyrano chez Vincent Parreira. L’allure, la faconde, la délicatesse. Le panache vaut le plumage. Souhaitant sortir de la brique traditionnelle, l’architecte cherchait une matérialité forte. Le budget interdisant la pierre, le choix s’est porté sur une ardoise violine en provenance, dommage, du Canada compte tenu de l’épuisement des carrières en Europe. Ce dérivé schisteux couvre donc en grande partie les façades, à l’exception de certaines salles très vitrées, voilées alors par une résille en cuivre faisant office de moucharabieh. On retrouve là l’une des marques de fabrique d’AAVP pour qui l’ornement, l’épaisseur de la façade sont une élégance, une poésie rendue au territoire.

En apparence rigide, la longère ouest, plus haute que l’autre, amorce un pas de danse par un gracieux déhanché de toiture. Ce mouvement aérien résulte de la volonté de se raccorder au pignon de l’ancien couvent tout en absorbant la pente du terrain. Des jeux de noues qui en découlent, conjugués aux chéneaux encastrés, au faîtage en lignolet et à l’absence de tout débord qui viendrait rompre la linéarité, confèrent à l’ensemble une sobre élégance. Cette masse sombre, plutôt austère, serait presque mutique si elle n’en disait long sur les détails d’exécution et sur le savant calepinage des écailles d’ardoise crochetées mis en œuvre par Jean-Marc Maréchal, couvreur et compagnon du Devoir.

Cette géométrie dicte une spatialité intérieure tout à fait intéressante : les plafonds à deux pentes de la salle de danse, de la médiathèque, des studios de musique, plus souvent « chapelle » que « cathédrale », continuent d’explorer l’archétype de la longère qu’augurait l’enveloppe. « Nous avons voulu proposer quelque chose qui s’apparente à ce que connaissent les gens mais qu’ils ne trouvent pas chez eux, explique Marie Brodin, chef de projet. On retrouve rarement l’archétype de la maison à l’intérieur d’une maison : on ne voit jamais ces toitures ou ces faux plafonds déformés, pourtant c’est quelque chose de commun que tout le monde connaît et qui facilite l’appropriation. » Qu’en aurait dit Guadalupe Acedo, la femme de ménage de la maison Rem Koolhaas à Bordeaux ? La longère, donc, jusque dans son usage domestique le plus prosaïque...