2029, PERPIGNAN (66) |
PALAIS DE JUSTICE EXTENSION & REHABILITATION |
ARCHITECTE – AAVP + AIRES MATEUS E ASSOCIADOS |
PAYSAGISTE – TOPONYMY |
BE – OTE – OTEIS – MOBIUS – TESS – ATELIER ROUCH – ANTEA GROUP – CRONOS CONSEIL – QUADRIM CONSEILS – BMF |
GRAPHISTE – ATELIERS 59 |
MOA – AGENCE PUBLIQUE POUR L’IMMOBILIER DE LA JUSTICE |
48,6 M€ HT – 9 270 M² SDP + 3 060 M² SDP EXISTANT |
RT EXISTANT CEPref -40% – E3C1 – RT 2020 CEPmax à -30% Bbio à -20% |
Pierre & brique massive |
PERSPECTIVE @ARTEFACTORYLAB |
« Commencer par valoriser l’existant pour que l’existant, en retour, valorise ce qu’on veut faire ».
« Amener le bâtiment à l’échelle des murs historiques qui dessinent le patrimoine local. »
Le programme de réhabilitation et d’extension du Palais de justice de Perpignan (« Palais Arago », Tribunal judiciaire) se caractérise par un faisceau de recommandations rigoureuses émanant de l’APIJ et de bureaux d’études spécialisés ayant œuvré à la demande des pouvoirs publics et de la Ville de Perpignan.
Ces recommandations, rapportées à leur essentiel, sont les suivantes : ancrage de l’ancien dans le nouveau avec interfaces entre le bâti existant et le neuf ; maintien et modernisation de la toiture existante ; conception d’une nouvelle entrée publique ; livraison de nouveaux espaces servants distribués autour du bâtiment originel, en étroite liaison avec celui-ci et pouvant en partie s’élever au-dessus du gabarit du palais originel ; érection d’une section nouvelle permettant des percées visuelles et apte à articuler quartier d’implantation, la place Arago, et ville historique de Perpignan.
Note d’intention
Ces recommandations orientent la nature du projet architectural, fortement contextuel. La réhabilitation-extension du Palais de justice de Perpignan proposée ici s’inspire de celles-ci, scrupuleusement respectées. À partir de ce cadre contraint, on envisage pour le futur Palais de Justice de Perpignan une architecture qualitative en quête d’unité et de cohérence morphologique, à même de fusionner de façon harmonieuse les deux séquences historiques différenciées du futur ensemble réhabilité, le Palais Arago datant de 1866 d’une part, et son extension contemporaine d’autre part, pensée dans les années 2020.
Notre ambition est concomitamment de répondre aux impératifs qui sont ceux d’une cité judiciaire urbaine d’aujourd’hui en matière de distribution et de confort des espaces servants, ainsi qu’à l’attente institution-justiciables-usagers, de la qualité des services offerts et des commodités à l’inscription historique, territoriale, environnementale et symbolique dans le tissu urbain.
Faire que le Palais de justice de Perpignan reste identifiable comme tel implique de ne pas le changer en vaisseau architectural banal, spectaculaire ou à l’esthétique contournée. Le palais de justice de l’âge démocratique, en Occident, a pris la forme dominante, à partir du XIXe siècle, de l’édifice palatial néoclassique, que le Palais Arago illustre par sa façade à colonnade et son portique d’entrée de style corinthien. Comme l’écrit la spécialiste de l’architecture judiciaire Christine Mengin, « le palais de justice républicain est néoclassique et monumental ».
Cette dimension historique propre au Palais Arago, que fait perdurer la mémoire collective des lieux d’architecture, doit être conservée et valorisée.
Un temps en vogue au XXe siècle, l’architecture fonctionnaliste appliquée aux palais de justice ou aux cités judiciaires a fait long feu. Il est pris acte de cette désaffection symbolique. « À la fin des années 1980, la sobriété de ces édifices fonctionnels fait l’objet d’un mouvement de rejet. On reproche aux palais de justice récents leur manque de grandeur. Ce qui se voulait dédramatisation est désormais perçu comme banalité » « La simplicité comme médiocrité », continue Christine Mengin en pointant les effets symboliques déceptifs de la standardisation et de l’anonymat architectural. On parle de « déficit de solennité ».
Garantir la solennité du bâtiment dans son ensemble, partie historique réhabilitée + partie contemporaine ajoutée, est la colonne vertébrale de notre proposition. Est écarté d’emblée le modèle offert par les récentes ou moins récentes références nationales en matière de conception ou de conception-réhabilitation de bâtiments judiciaires, au symbolisme qui peut s’avérer froid ou erratique. L’inspiration est et reste le Palais Arago, son aura, sa « peau », sa « chair », sa « masse », son « dessin », pivots de notre projet de réhabilitation-expansion. Le futur projet fera se juxtaposer deux époques distinctes (origine, contemporain) en limitant le dépareillement en matière de proportion voire de style, ainsi qu’en affirmant des continuités.
L’assise plus lourde que légère du Palais Arago en bord d’îlot, sa signature visuelle plus austère que gracile, son volume et sa masse denses plaident pour la solidité et l’effet de sol tout en « racontant », géométrie classique aidant, l’histoire de l’affermissement du droit et de l’exercice public de la justice. La réhabilitation-extension élaborée ici se nourrit de l’esprit générique du Palais Arago et des données concrètes qu’inspire le bâti existant : l’ancrage ferme au sol ; une enveloppe minérale marquante, avec le choix dominant de matériaux sobres, la pierre et la brique notamment ; un aspect à la fois autoritaire et protecteur ; une séquence d’entrée constituant un sas logique et bien positionné ; une allure se refusant à toute excentricité stylistique ; une distribution efficace d’espaces intérieurs de caractère (Salle des pas perdus originale, vestibule, cour d’assises).
La réhabilitation-extension du Palais de justice de Perpignan doit faire sien ce préalable non négociable, imposé par le contexte patrimonial : le respect de l’identité première. Autres exigences du programme : l’entrée publique du futur Palais de Justice devra se faire non loin de l’entrée première et sur la même façade ; les ajouts bâtis, pour leur part, seront positionnés en périphérie du bâtiment-origine tout en s’interconnectant étroitement à celui-ci ; la façade nord du bâtiment, qui longe la Bassa, devra être prolongée mais son existant, être conservé en l’état. Un accroissement notoire de la surface, encore, est réclamé, à conquérir par élévation du nouveau bâti mais non par creusement (confer le plan anti-inondation local : l’actuel parking souterrain situé sous la place Arago, de la sorte, ne peut être approfondi).
Le Palais Arago donne le la. Sont recherchés la solennité, l’élévation, l’équilibre, la rigueur, l’inscription dans la durée sans recherche du nouveau à tout prix. Tout bâtiment délivre un « récit » qu’il faut entendre, celui, ici, d’un classicisme épris de mesure mais aussi d’affirmation identitaire (la présence et force sereine de la justice). Reprendre le fil de cette histoire sans le trancher implique ce choix, générer une « peau » actualisée mariée à l’ancienne avec le moins possible de heurt visuel et symbolique. De quelle façon, avec quels arguments architecturaux ?
Concernant la toiture du bâtiment-origine : le toit-semi-lanterne en tuiles canal du Palais Arago est, comme demandé, conservé, avec nettoyage et une intervention sur le nouveau lanterneau : une couverture au moyen de tuiles en verre, translucides, au style convergent avec l’appareillage d’origine, donne à la toiture refaite un tour contemporain et une écriture intégrée, en résonance avec l’ancien.
Concernant le parvis : le parvis de l’ancienne entrée sera élargi (le maximum possible ici, en bord de chaussée rue Porte d’Assaut) de manière à créer une esplanade.
Concernant l’extension de la façade d’entrée du bâtiment-origine : l’actuelle pergola en bord de chaussée (rue Porte d’Assaut), celle-ci est conservée, conformément au programme.
Concernant l’extension murale de la façade est, celle du Palais Arago en direction de l’ancien parking. L’appareil choisi pour ce mur est la pierre (à la place du béton ou du verre), afin de « continuer », au registre de la matérialité et de l’apparence, le mur-origine. Ce choix de la pierre s’explique par le souci de recourir à un matériau immémorial.
Concernant la nouvelle ouverture publique du bâtiment : on ne reprend pas le principe de l’escalier d’accès caractéristique de l’entrée surélevée du bâtiment-origine mais on adopte celui du plain-pied. La nouvelle entrée publique, de dimension monumentale, est à niveau de terre-plein. Son style est classique, accueillant mais rigoriste : sa largeur (son ampleur, même, visuelle et physique) renvoie à l’importance symbolique de l’activité de justice, quand sa découpe en plein cintre évoque la porte majeure des palais d’antan. Sertie dans un mur de pierre, elle s’accorde visuellement et morphologiquement à la nouvelle Salle des pas perdus, située dans l’axe parfait de l’ouverture, sur laquelle elle débouche directement.
Un inévitable effet de dualité – voire de doublon – est créé par l’adjonction d’une nouvelle porte à l’ancienne. De quoi prêter à confusion. L’emplacement de la nouvelle entrée, centré sur l’extension de la façade, fait apparaître clairement que l’entrée existante (Palais Arago) appartient à un bâtiment patrimonial qui est conservé mais qui devient un sous-ensemble de la nouvelle mouture élargie du Palais de justice. Là où l’entrée nouvelle signale par son positionnement dans la section nouvelle du bâtiment qu’elle sert l’ensemble du nouveau bâtiment dans son ensemble.
La nouvelle porte est en bois et bronze. Ouverte en journée, elle donne sur un second dispositif de type façade vitrée, en retrait, à l’entrée et à l’intérieur de la nouvelle Salle des pas perdus, permettant une vue libre et ouverte sur cette dernière.
La nouvelle entrée, de plein pied, se positionne au niveau de la ville, celui des piétons. L’absence d’une surélévation de l’entrée (à l’image de l’entrée néoclassique du Palais Arago) sous-tend symboliquement la facilité d’accès : la nouvelle cité judiciaire se veut accessible, elle ne se claquemure pas.
Notre proposition d’extension du Palais Arago, à dessein, se limite au regard de la SHON envisageable. Gagner un maximum d’espace en passerait en toute logique par l’érection autour du bâtiment-origine, le Palais Arago, de bâtiments monumentaux exploitant à plein la possibilité de grimper massivement jusqu’à R+7, la limite de hauteur autorisée par le programme, en saturant l’espace et, visuellement, en faisant écran à l’environnement local.
Cette option ne nous paraît pas pertinente au regard de la demande de combinaison de l’ancien et du nouveau, demande plus qu’implicite dans le programme. Limiter en masse le volume de l’extension, malgré la volumétrie mise à disposition par le gabarit (confer le plan de sauvegarde) est en conséquence la seule approche à même de valoriser le bâtiment historique conservé sans l’écraser ou le rendre mineur. Ceci, tout en l’insérant avec le plus d’harmonie possible dans un paysage caractérisé par l’échelle propre au tissu médiéval, moindre que celle du nouveau bâtiment attendu ici.
Limiter en masse le volume de l’extension, encore, est la seule manière viable de mettre en valeur des vues dégagées, notamment depuis le palais des Rois de Majorque, en cœur de vieille ville. De quoi permettre l’affichage dans l’espace urbain, en vue lointaine, d’une silhouette relativement fine et élancée émergeant en juxtaposition (équilibre de proportions) avec la tour du bâtiment de l’Hôtel des impôts (seule émergence de la ville, R+9). De concert, la lisibilité du palais d’origine et ses relations avec le contexte historique seront mieux préservées.
Cette limite mise à la massification des extensions résulte également, de notre part, de la volonté de préserver un rapport de « politesse » envers les bâtiments historiques composant le front bâti Sud de la dalle Arago. Une telle approche nous semble pertinente dans la mesure où, à terme, pourrait être envisagée une évolution de la dalle Arago en espace public. Les fronts bâtis existants, dans cette optique, doivent éviter la décontextualisation ou une expression de massivité incompatible avec la composition future, dont on peut penser qu’elle se fera à l’échelle des proportions du tissu urbain immédiat, traditionnel. Il s’agit d’éviter l’effet pustule, le bâtiment -« verrue », de constitution excessive et inappropriée au contexte. Il faut d’ores et déjà se préparer au dialogue, qu’il s’agisse pour l’extension prévue du Palais de justice de converser avec l’échelle urbaine, avec le contexte médiéval, ou de rester à l’échelle humaine, celle des usagers qui vivront ces changements.
Se couler dans le contexte détermine l’écriture, le « dessin » du projet. La nouvelle offre architecturale assume d’être classique, de s’adosser à l’histoire longue en valorisant à la fois pérennité (y compris dans le choix des matériaux : priorité au minéral), autorité (le bâtiment, s’il ne se présentera pas comme un colosse, en imposera), rigueur constructiviste (priorité à la géométrie euclidienne et à l’orthogonalité), insertion non hégémonique dans le cadre existant (une stratégie d’allégement visuel est mise en œuvre, pour contrer l’effet de massivité, d’autorité excessive et d’arbitraire).
Nature de la demande : le schéma général de l’extension du Palais de justice de Perpignan tel que le préfigurent pouvoirs publics et APIJ invite à étendre l’existant sur trois côtés : est, sud et ouest, par adjonction de bâtiments-bloc, tout en haussant le niveau haut du futur ensemble bâti. En vertu de ce schéma, une partie du parking de surface situé place Arago, sur le flanc sud du chantier, sera de surcroît affectée au bâti, le parking souterrain étant pour sa part conservé. Objectif : maximiser l’espace en élargissant le « bloc » originel du Palais de justice sur deux de ses quatre côtés (ouest et nord), les sections ajoutées à l’existant pouvant être élevées au-dessus du point haut du bâtiment origine (jusqu’à R+7). Ce schéma directeur, clairement, en appelle à la densification spatiale.
Notre parti pris est le strict respect de ce programme. Ni subversion ni « coup » ou « geste auguste ». Le contexte (la demande, les lieux) dicte pour l’occasion le geste architectural. Traduction au regard des extensions envisagées du Palais de justice :
- création d’une nouvelle Salle des pas perdus (l’ancienne est conservée et devient un espace d’attente ouvert) dans l’axe de la nouvelle entrée. Celle-ci prend la forme d’un boulevard intérieur plan, longiligne et rectiligne, distributif et connecté avec, à droite, les espaces latéraux repensés de l’ancien Palais de justice et des fonctions pénales, et à gauche les nouveaux espaces de l’ensemble civil, nouvellement bâti. La grande longueur de cette avenue sous toit crée un effet de passage, dans la tradition des passages urbains de l’âge prémoderne. Son voûtement est en plein cintre et son appareil en brique, références limpides à l’architecture romane, abondante dans le Roussillon, et aux murs vénérables ou plus récents de nombreux bâtiments locaux. Son plafond à caissons rythme son déploiement axial et dispense une lumière zénithale filtrée. L’extrémité de cette nouvelle Salle des pas perdus abrite un escalier axial monumental s’élevant vers les étages des nouveaux bâtiments, bloc pénal (en face), que nous dénommerons ici l’« émergence tertiaire », et bloc civil (à gauche), que nous dénommerons ici le « socle public », avec cet effet symbolique, celui du caractère souverain de la justice ;
- création de deux adjonctions monumentales sous l’espèce de deux bâtiments nouveaux disposés à la perpendiculaire l’un de l’autre, l’un en R+7, l’émergence tertiaire, venant flanquer la section arrière de l’ancien Palais de justice (façade ouest), l’autre en R+2, le socle public, flanquant la nouvelle Salle des pas perdus (façade sud). Ces deux blocs nouveaux, comme le demande le programme, sont légèrement décrochés par rapport à leur soubassement.
L’élévation de ces deux bâtiments, par choix, diffère.
Le bâtiment dit du « socle public » (R+2), se soulevant jusqu’à la hauteur de la toiture de l’ancien Palais de justice, s’érige en continuité du bâtiment-origine, sans effet de surhaussement soudain et incongru : il prolonge ce dernier, son style architectural serait-il différent. Il offre une terrasse de toit qui permet des vues sur l’ancien Palais de justice et sur la ville, en conformité avec la demande programmatique d’ouvertures visuelles sur les alentours et la cité de Perpignan et au lointain, le paysage roussillonnais.
Disposé le long de l’axe ouest et le long de la Bassa et du quai Jean de Lattre de Tassigny, le bâtiment dit l’« émergence tertiaire » (R+7), plus élevé que celui dit « socle public », tend par sa hauteur (R+7 contre R+2) à se raccorder visuellement à l’Hôtel des impôts voisin (R+9), une « tour » isolée en bord d’îlot, reliquat architectural d’un plan d’aménagement urbain resté en déshérence. Sa partie haute (côté ouest) est percée en bordure de ligne supérieure d’une large ouverture-vitrine rectangulaire donnant sur la ville garantissant depuis l’intérieur un « effet tableau » puissant (panorama à l’image de celui offert par les grands percements muraux surélevés, par exemple, du Centre-Pompidou Metz ou de la Casa de Musica de Porto). Son toit est équipé de panneaux photovoltaïques sur toute sa surface, un appareillage technique non visible depuis le sol.
Précision : les bâtiments nouveaux dits « socle public » (R+2) et « émergence tertiaire » (R+7) se caractérisent par leur soubassement muré en pierre de moyenne hauteur (2,50 m). Ce soubassement, qui crée l’effet visuel d’un socle, génère une unité formelle et esthétique : il relie entre eux et unifie les nouveaux bâtiments ajoutés au Palais Arago. Il connote aussi l’idée d’ancrage, de stabilité, de solidité.
Les murs qui s’élèvent à l’aplomb de ce soubassement, de type claustra, sont en brique et prennent position devant un mur ouvert de fenêtres, enduit à la chaux de couleur claire, reculé en profondeur de 50 cm. Leur surface est agencée en claire-voie. Les briques assemblées par juxtaposition ne forment pas muraille et laissent la lumière traverser et gagner les espaces intérieurs, comme le permettrait un moucharabieh. Le calepinage choisi positionne la brique à la verticale et se caractérise par un espacement toujours plus grand des briques entre elles à mesure que le mur s’élève. L’élévation, plus elle s’éloigne du sol, se fait plus légère, l’effet-masse du mur s’en trouvant diminué, et l’effet traversant de celui-ci, dû à la claire-voie, étant dans le même temps augmenté du bas en haut.
Cette élévation en briques ajourées est un point fort de notre proposition. Sur le plan pratique, cette seconde peau de type claustra fait l’effet d’un pare-soleil lapidaire (précisons que les vues orientées de l’extérieur vers l’intérieur du bâtiment sont rendues aveugles par un percement trop peu aéré pour permettre la visibilité : pas question de voir depuis le dehors ce qui se passe au sein d’un palais de justice). Sur le plan esthétique, l’allègement visuel du mur à mesure que l’on s’élève dématérialise le bâtiment, tandis que la brique, en fonction de la lumière du jour et de la chaleur, change de couleur, créant un effet métamorphique qui rend le bâtiment attrayant en lui conférant l’aspect d’une matière vive, réactive au contexte atmosphérique.
Autre précision concernant l’élévation des parties ajourées : le bâtiment de l’« émergence tertiaire », pour sa part, distingue son assise et ses parties supérieures par l’introduction à mi-hauteur de son élévation (en R+3) d’une coursive vitrée offrant luminosité, effet de percée visuelle et, vue de loin, l’impression que la partie haute du bloc gravite au-dessus de son soubassement.
Le traitement vitré intégral de cet étage R+3 n’est pas un simple effet de style. Il se justifie à plusieurs titres.
Visuellement, en tant qu’interstice, il donne à l’émergence un aspect allégé, comme si les parties hautes de cette dernière, vu de loin, étaient suspendues en l’air, en lévitation. Son placement en léger retrait par rapport aux étages supérieurs du bâtiment qui le surplombe (les étages de R+4 à R+7) accentue cet effet de séparation gracile, de quoi briser la massivité de l’élévation.
Structurellement : l’effet monolithe qui peut être craint d’une extension devant garantir un fort accroissement de surface (avec cette obligation fatale, composer un bâtiment-bloc massif) se trouve diminué. Le geste architectural que représente cette trouée de lumière en R+3 répond à une volonté d’alléger la perception de la masse ainsi qu’à celle de fonder une échelle intermédiaire en lien avec le contexte : la hauteur de ce R+3 correspond à celle, moyenne, des bâtiments urbains environnants (sauf la tour de l’Hôtel des impôts, isolée, excroissance incongrue dans le paysage) et fait écho à la ville patrimoniale. Il rend aussi la nouvelle articulation des parties de l’extension plus lisible.
Fonctionnellement : le caractère ouvert du R+3 du bâtiment de l’« émergence tertiaire » permet des vues dégagées sur le palais historique et sur la place Arago, de quoi offrir un panorama urbain, en plus de décloisonner le bâtiment, qui fait entrer l’extérieur, via cette façade vitrée de mi-hauteur, jusque dans son intérieur.
L’attention au contexte, au sens élargi du terme (du latin cum textere, « tisser avec »), est ici une préoccupation essentielle. Comment le « lien » entre un bâtiment et son contexte s’établit-il ? Par le sensible, l’esthétique. Juxtaposer architecture classique historique et nouveau bâti expose à ces risques, pour l’observateur : l’effet de télescopage, de contrepoint. Nous refusons cette confrontation tout en s’interdisant de jouer le couplet facile de l’anachronisme (confer l’architecture dite « postmoderne » multipliant les références au passé tels que colonnes, frontons géométriques inspirés de l’antique et autre polychromie en restant aveugle à l’esprit de son époque).
Le contexte local du Palais de justice de Perpignan est complexe. Situé à la limite du quartier historique et de la ville moderne et en surplomb de la Bassa sur son flanc nord, le palais Arago prend position à l’intersection de quartiers riches de monuments patrimoniaux (celui abritant le Centre d’art contemporain tout proche) et de quartiers socialement relégués. Comment en faire un point nodal, un attracteur, une architecture « familière » devenant un repère urbain ?
La question de l’appropriation, en l’occurrence, se pose avec intensité. Un lourd reproche fait à l’architecture moderne est son indifférence au sensible, toujours relégué au second plan, loin derrière la technicité et la performance. On plaidera ici, à-rebours de cette tendance, pour une stratégie de « connivence » reposant sur trois entrées : le patrimoine (l’extension ménage l’existant, donc la mémoire des lieux), l’utilité (de l’espace servant est offert en quantité et en qualité), le souci social (offrir un bâtiment qui exprime une plus-value, une fierté).
L’hétérogénéité, à cette heure, domine les alentours immédiats de l’actuel Palais de justice sous l’espèce de rues sinueuses, d’une pergola, d’une entrée de parking souterrain, d’un parking de surface et de bâtiments patrimoniaux classés dans le style local (Centre d’art contemporain), plus un centre des impôts de style moderniste mal intégré au gabarit local surplombant l’ensemble dans sa partie arrière. Le nouveau bâtiment, par sa force unitaire, redonnera au quartier de l’identité tout en haussant sa réputation urbaine : un pôle, un repère, un élément « masse » dans le paysage urbain.
Il s’agit bien, s’agissant de cette opération, de « faire avec » mais dans ce but, en faire plus, donner une noblesse au bâtiment.
Que lui faut-il incarner ? En premier lieu, l’existence d’une autorité de tutelle, celle du dépositaire de la justice (historiquement l’État ou ses relais territoriaux pour la haute justice, les cours locales et autres juges de paix pour la basse justice). En second lieu, une disponibilité factuelle, décelable dans l’ouverture du bâtiment au public et dans sa nature de structure d’accueil et de délibération. En troisième lieu, une écriture symbolique où lire la force de la loi et comment tout un chacun a droit à la justice. Un palais de justice, à cet égard, ne saurait être conçu comme le seront une forteresse (connotant une justice claquemurée, portée au secret, à l’arbitraire), un espace tertiaire de bureaux (où lire le fonctionnalisme, la bureaucratisation, la routine) ou encore un casernement de spécialistes, celui, en l’occurrence, du seul peuple de la magistrature (inflexion corporatiste réductrice).
« Incarner », s’agissant de l’architecture judiciaire, détermine un rapport pondéré et le plus possible équilibré entre le solide (la loi, inflexible), l’utile (la compétence du peuple judiciaire) et le disponible (s’ouvrir au justiciable et à la délibération). Solidité, utilité, disponibilité : cette triade décalque sans la contester la tripartition classique propre à l’art architectural tel que l’a défini en son temps Vitruve, partisan dans son traité De Architectura de l’alliance entre firmitas, la « solidité, utilitas, l’utilité et venustas, la « beauté ». Étant entendu que la « beauté » de ce type de bâtiment, plus que résider dans l’attraction ou la subtilité du décor, résulte de l’effet d’adéquation produit sur l’usager ou le passant circulant dans sa proximité : le sentiment de la beauté naît dans ce cas de l’évidence fonctionnelle, de la pertinence symbolique et de la plus-value que génère le bâtiment. Ce que l’on s’attache pour l’occasion à mettre en valeur.
Souveraineté de l’architecture, oui, mais non agressive, que nourrit un esprit éthique, de générosité, de responsabilité, de partage.
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